Le bricolage en architecture : une philosophie créative
Le bricolage en architecture représente bien plus qu’une simple technique de construction – c’est une philosophie créative qui traverse l’histoire de l’art et de l’architecture moderne. Issu du français ‘bricoler’ signifiant ‘bricoler’ ou ‘faire avec ce que l’on a sous la main’, ce concept s’est imposé comme une approche distinctive dans la création architecturale.
Les origines et la définition du bricolage architectural
Le terme ‘bricolage’ désigne fondamentalement un processus d’improvisation dans l’effort humain. Dérivé du verbe français ‘bricoler’, il s’apparente au concept anglais du ‘Do-it-yourself’ (DIY). En architecture, le bricolage se manifeste comme l’effet hétéroclite produit par la proximité de bâtiments de différentes périodes et styles architecturaux, créant une juxtaposition visuelle caractéristique.
Cette approche est considérée comme une technique ou un mode créatif où les œuvres sont construites à partir de divers matériaux disponibles ou à portée de main. Elle est souvent perçue comme une caractéristique de la pratique artistique postmoderne, comparable au concept de conservation muséale, impliquant le remixage, la reconstruction et la réutilisation de matériaux ou d’artefacts distincts pour produire de nouvelles significations et perspectives.
L’héritage de Le Corbusier : maître du bricolage architectural
Le Corbusier, figure emblématique de l’architecture du XXe siècle, incarne parfaitement l’esprit du bricolage architectural. Colin Rowe et Fred Koetter, dans leur ouvrage ‘Collage City’, le qualifient admirablement de ‘renard déguisé en hérisson’, soulignant son approche rusée d’assemblage d’idées provenant d’objets trouvés dans l’histoire de l’architecture. Cette description contraste avec Frank Lloyd Wright, qu’ils considèrent comme un ‘hérisson’ trop concentré sur un concept étroit.
L’œuvre architecturale de Le Corbusier, qui s’étend sur onze pays et quatre continents, témoigne de cette capacité exceptionnelle à fusionner des influences diverses. Réalisée sur un demi-siècle, elle a révolutionné l’architecture en inventant un nouveau langage en rupture avec le passé. Comme le rapporte la Fondation Le Corbusier, son travail a marqué la naissance de trois courants majeurs dans l’architecture moderne : le purisme, le brutalisme et l’architecture-sculpture.
Architecte prolifique, Le Corbusier a construit 79 bâtiments entre 1905 et 1965, tout en concevant de nombreux projets non réalisés pour divers pays comme l’Algérie, le Brésil, le Tchad ou l’Espagne. Sa contribution théorique est tout aussi importante, avec ses cinq points d’une architecture nouvelle, le système DOM-INO, ou encore le principe du musée à croissance illimitée.
La vision urbaine et le bricolage
Pour Le Corbusier, architecture et urbanisme étaient indissociables : l’architecture nouvelle n’avait de sens qu’intégrée dans une ville moderne. Dans ses écrits, il annonçait une crise urbaine et proposait de rebâtir les villes de fond en comble, rejetant progressivement la rue traditionnelle, ordonnatrice de toute ville depuis l’Antiquité.
Le Corbusier rêvait d’un ordre nouveau, né de l’automobile, de la mécanisation et de l’habitat collectif normalisé – un monde où esthétique et technique se mêlaient comme dans un paquebot. Selon lui, pour construire un monde nouveau, il fallait totalement raser l’ancien, proposant ainsi des solutions radicales. Comme le souligne la documentation sur son œuvre, il se sentait poussé par ‘l’esprit nouveau’, qu’il définissait comme un esprit de géométrie, de construction et de synthèse dont l’exactitude et l’ordre étaient la condition.
Le bricolage contemporain : entre tradition et innovation
Aujourd’hui, le concept de bricolage architectural connaît un renouveau significatif. Des projets contemporains comme ceux mentionnés dans l’introduction – les ‘Six Bricolage Houses’ d’ARCity Office à Nantou – illustrent comment cette approche peut fusionner héritage et modernité pour répondre aux besoins actuels.
Cette tendance reflète une volonté d’adaptation et d’improvisation dans un contexte urbain en constante évolution, tout en valorisant l’intégration environnementale et sociale. Le bricolage architectural contemporain s’inscrit dans une démarche de design durable, où l’intégration de solutions écologiques comme les toits verts s’harmonise avec une esthétique mêlée et improvisée.
La tension créative du bricolage
Le bricolage en architecture n’est pas exempt de critiques. La juxtaposition de styles et d’époques peut parfois sembler désordonnée, voire incohérente, si elle n’est pas maîtrisée avec finesse. Néanmoins, cette tension entre ordre et improvisation constitue aussi la richesse et la singularité de cette approche, reflétant la complexité des environnements urbains contemporains.
Cette méthode invite à repenser la relation entre patrimoine et modernité, entre fonctionnalité et esthétique, en valorisant la capacité d’adaptation et la créativité. Elle encourage également une participation plus active des habitants, notamment dans des projets d’auto-construction ou de rénovation, renforçant ainsi le lien social et la durabilité des espaces construits.
Conclusion
Le bricolage en architecture, inspiré par l’héritage de Le Corbusier et enrichi par des projets contemporains innovants, incarne une approche mêlant improvisation, diversité stylistique et durabilité. Cette méthode offre une réponse adaptée aux défis urbains actuels, en valorisant à la fois le patrimoine et l’innovation écologique.
Dans un monde où les ressources se raréfient et où la préservation du patrimoine devient cruciale, le bricolage architectural propose une voie médiane entre conservation et innovation. Il nous rappelle que l’architecture n’est pas figée mais en constante évolution, capable de s’adapter aux contraintes tout en créant de la beauté à partir de l’existant.
Cette philosophie du ‘faire avec’ résonne particulièrement avec les préoccupations contemporaines de développement durable et d’économie circulaire, faisant du bricolage non pas une simple technique du passé, mais une approche d’avenir pour repenser nos espaces de vie.
Aucune réponse